Elle est allée puiser de l'eau à la source des montagnes, Delvine (1). Elle y va tous les jours. Auréolée de joie enfantine, elle marche, elle court, elle bondit sur les sentiers. La vie, la douce vie, la belle vie l'anime et elle sait que ses parents, ses sœurs, ses frères, garants d'une communauté, fortifient cette vie afin qu'elle donne à tous des élans de tendresse et d'affection.

 

Et cette source, là, au creux d'un rocher, quelle limpidité, quelle fraîcheur pour ses yeux, pour ses mains, pour sa bouche ! Elle y mire son visage, en remplit ses deux seaux et repart vers le village.

Et au fur et à mesure de sa marche, le ciel se leste de nuages gris et noirs et l'air de senteurs nauséabondes, de souffles de feu. Vrombissent des oiseaux d'acier, messagers de l'Apocalypse. Partout, la guerre déverse son poison létal.

 

Sont morts ses parents, ses sœurs, ses frères, ses voisins, ses amis, tous les villageois. Sont morts aussi les moutons, les vaches, les ânes, les chevaux, les abeilles, les perdrix.

 

Et toi, petite Delvine,

Face au village désert,

Tu pleures, tu gémis

Dans l'invisible linceul

De ton agonie…

Et déjà, au-delà de ce monde criminel,

Toi, petite fille kurde,

Tu grandis

Dans les jardins de l'éternité !

   

(1) c'était lors des bombardements aux armes chimiques des irakiens sur des villages kurdes. Il y a à peine quinze ans.

 

Marcel Bénézit