-
Hé ! Petit, tu peux
me dire ce que tu fais là ?
Un chasseur, aussi haut que Goldorak,
se dresse devant Mocky, porteur d'un fusil aux canons encore fumants de
poudre et de plomb, d'une gibecière garnie d'un capucin qui a la goutte
au nez.
-
T'as avalé ta langue ?
Demande-t-il, face au galopin intimidé plus qu'apeuré par la
soudaine apparition du chasseur chaussé de grandes bottes, vêtu d'un
costume de toile imperméabilisée et coiffé d'un chapeau orné de trois
plumes de faisan.
-
Ce que je fais là, ose
Mocky, tu le vois bien !
Cette évidence ne semble pas
inscrite dans les yeux du chasseur :
-
Drôle d'amusement !
Puis parlant à son chien, un
superbe corniaud en costume marron, à la truffe mise en valeur par une tâche
blanche sur le front :
-
Tu vois, Tarzan, cet enfant
s'amuse avec des champignons. Il s'amuse et nous, nous n'en aurons même
pas un pour que Francine, notre bourgeoise, puisse parfumer le civet de
notre lièvre.
Etonné, Mocky sourit. Est-il
possible que cet homme, un "grand" et de plus, chasseur, n'ait
pas deviné tout de suite le travail qu'il effectue ?
-
Et toi, demande-t-il, quel
est ton amusement ?
Constatant la surprise du chasseur,
il ajoute :
-
Dis, à quoi tu joue avec ton
fusil ? Un vrai fusil, pareil à ceux des grands et qui doit faire
beaucoup de bruit, beaucoup de mal !
Interloqué par l'audace subite du
petit galopin, le chasseur ne trouve pas de mots pour répondre que de
champignons pour manger.
-
Moi aussi, j'ai un fusil,
continue Mocky, mais le mien, il est en bois, tout en bois. Je l'ai taillé
avec mon couteau, un couteau pareil à celui de Mac Gyver . Il ne tire pas
de vraies cartouches. Quand je m'en sers, c'est pour rire, pas pour tuer.
Des fois avec les copains, on joue à la guerre : pan ! pan ! pan !
Mais on n'est jamais mort. Parce que si on était mort, on pourrait
plus rigoler ensemble. Ce serait une vraie guerre, avec des balles en
vrai… j'aime pas !
Tarzan, le chien, veut aboyer, sans doute pour que son maître sache qu'il
existe et qu'il a son jappement à dire mais le chasseur le lui interdit,
du regard et de la main. Alors Tarzan s'assoit sur son derrière et tout
penaud, baisse la tête.
-
Petit, déclare le chasseur,
tu as la langue bien pendue. Ca me plaît. Mais…
-
Quoi, l'interrompt Mocky, tu
veux plus jouer ?
-
Ce n'est plus de mon âge !
-
Tant pis ! Si t'avais joué
mais pas avec ton vrai fusil, on aurait rigolé super !
Mocky reprend son occupation,
coupant des bouts de bois, tout petits, les piquant avec habileté dans
les morceaux cassés pour redonner forme au chapeau des champignons, de
beaux cèpes frais de rosée.
Se désintéressant du chasseur, entièrement pris par cette occupation
qui le divertit et qu'il accomplit avec un soin particulier, il sifflote.
-
Peut-être, que tu me
vendrais des champignons ?
-
Ca y est, tu veux jouer,
s'enthousiasme Mocky. Je te préviens, si je t'en vends, tu payes avec des
vrais billets, pas avec du papier d'école !
-
Mais oui, mais oui. T'es le
marchand, je suis le client. Tu me donnes des champignons, je te donne de
l'argent, d'accord !
-
Et tu achètes aussi ceux-ci
? S'enquiert Mocky, désignant du doigt les cèpes qu'il a remis à neuf.
Parce que moi, je suis réparateur
de champignons cassés et les réparations, ça vaut cher, très cher.
-
Réparateur de champignons
cassés, voyez vous ça !
-
Voui ! Et bien réparés, les
cèpes ! Regarde. Regarde mais touche pas !
-
Alors, s'impatiente le
chasseur, tu les vends ?
-
Je crois que je vais les
garder.
Puis après quelques secondes de réflexion,
tout sourire, il ajoute :
-
Voui, je les garde. Pour
faire bisquer Bastien, mon frangin. Lui, il jette les champignons cassés…
je vais lui monter les miens. Ils sont tout neufs, tout beaux.
Chemin du retour faisant, Mocky goûte aux saveurs de la campagne, sans
oublier que la ville, proche, annonce un sombre avenir.
-
Allez à la ville ?
Pense-t-il tout haut. Aller habiter dans des immeubles si hauts qu'ils
troublent le voyage du vent et des nuages ? Même que des fois, les
H.L.M., ils font pleurer le ciel. Pouah ! Jamais j'irai encrasser mes
poumons à la poussière des rues !
Et quand il aperçoit la nouvelle ville construite exprès et depuis peu
pour l'exploitation de l'atome, ville que l'on nomme : "Centrale-Boum",
Mocky ressent dans son dos les picotements d'une peur incontrôlable et
dans ses yeux, la rosée d'une émotion maligne.
Ville à géométrie variable et fantaisiste, avec des cubes sur d'autres
cubes, des carrés sur des rectangles, des circonférences de gazon jauni,
des traits de pelouse puante, des losanges de fleurs vite fanées et des
jouets de société malade, à côté des cages où des mauvais sorciers,
en blouse blanche, plus diable que Lucifer, imitent les hommes et préparent
des bouillons d'uranium pour y plonger et y brûler d'autres hommes trop
goulus de friandises modernes. Ville construite par l'entreprise "Cédubéton-Crac"
pour le compte de son pays ou peu à peu disparaît l'émoi d'aimer des
bergers, gardiens des étoiles, des croissants de lune, des moutons célestes
et des soleils éblouissants.
Les dangers camouflés dans cette ville qui a poussé comme un champignon,
Mocky les connaît. Lesavant, son oncle y travaille, dans des salles à
dimensions cosmiques, sur de calcul complexes, "Le monde futur".
-
Y a de quoi faire sauter
toute la planète là-dedans !
-
Et t'as la trouille ?
-
Des fois, si… un peu…
mais c'est excitant !
-
Et si ça pétait ?
-
Si ça pétait ? L'enfer !
Avec les radiations, on serait tous foutus ! Mais toi, Mocky, t'aurais
droit à un beau spectacle.
-
Et pourquoi ?
-
Une explosion
atomique, c'est pareil à un champignon, un énorme, un gigantesque, un
dantesque champignon.
-
Champignon mortel,
voui…. Çui-là s'il se casse, ce sera génial. Et moi, juré, je ne le
réparerai pas !
Marcel
Bénézit
Extrait de : Le soleil des
récréations - Edition du Petit Véhicule
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