En
ce 12 juin 1988, ils débarquent sur Pétaouchnock. Cette île jusqu'alors
inconnue les émerveille. Sans doute parce qu'elle sent bon et fort, de
ces parfums enivrants exhalés par mille et mille fleurs aux couleurs
chaudes. Une île plus belle que celle rêvée maintes et maintes fois par
Tnerol et Lecram, deux aventuriers en voyage sur les océans les plus
lointains, une île à la fois mystérieuse et presque familière par
l'accueil triomphal de toute la faune, la flore et les oiseaux. -
Comment tu sais ça, toi ? s'étonne
Tnerol. -
Quoi ça ? -
Le nom de l'île ? C'est
encore ta narine qui t'alerte ? -
Oui, la gauche. -
Fortiche ! Mais encore ? -
Zieute bien, c'est écrit sur
le rocher. -
Tu délires, je ne vois rien. -
T'es miraud, parole ! Regarde
mieux. Un
rayon de soleil sabre le rocher et Tnerol voit flamboyer le nom : Pétaouchnock. Une
bouffée de bien être emplit le corps des deux amis. Après avoir ancré
au rocher à forme humaine leur bateau qu'ils ont inventé et construit de
toutes pièces et qui vogue sur les eaux par la force tout à fait
prodigieuse de leurs pensées, fluide invisible mais plus puissant que
tous les moteurs le plus sophistiqués, ils s'allongent sur le sable d'une
plage immense ourlée jusqu'en ses contours les
plus fantaisistes par les vagues serpentines. La couleur émeraude des eaux s'incruste dans leurs yeux et dans leur esprit. Un vert si pur, si fascinant, ils n'en ont vu nulle part. -
On peut dire : "Six
verts sales m'étaient contés !" répond Lecram très en verve. -
Chouette ! Super-chouette ! pense Tnerol, le torse et les jambes nus sur le sable
pailleté d'éclats solaires. -
Si ce n'est pas le paradis,
renchérit Lecram, ça lui ressemble beaucoup. Aventuriers, ils n'ont pas espéré, même au cours de leurs rêves les plus osés, découvrir un éden si florissant, si accueillant, tout plein de merveilles et si chaleureux par ses senteurs tenaces. En eux coule une symphonie qui les emporte jusqu'au Temple empli de vibrations les plus sensuelles. -
On reste ? demande Tnerol,
les yeux grandes ouverts sur les beautés de ce nouveau monde. -
Oui on campe ! acquiesce
Lecram, les bras en croix, superbe, face au soleil si joliment épanoui
dans l'azur. Soudain,
un bouillon de jeunesse électrise Tnerol. Il est debout et d'une course féline,
il se dirige vers la mer. Et la mer porte son corps comme une maman porte
son enfant. Caresses, baisers, étreintes, amours à pleine bouche et à
pleins yeux : tout chante la joie de VIVRE ! Près
du rocher à forme humaine, les vagues épousent le bateau et dans les
chapelles de verdure et de fleurs, résonne l'airain des clochettes,
invisibles elles aussi mais si présentes et plus encore dans l'esprit de
Lecram. -
Viens ! Allez, viens ! crie
Tnerol, elle est vachement bonne. Alors
une vague plus forte, plus passionnée, enlace Lecram et l'emporte dans la
mer où les ébats de Tnerol l'émoustillent et lui permettent de goûter
à la rosée de la VIE. Le
temps n'ayant plus de consistance et bien que les deux amis n'aient pas
perdu la notion de ce temps, tout semble léger en la durée de leur séjour
sur île de Pétaouchnock. Alors
ils apprécient les fruits si généreusement offerts par les arbres, les
coquillages livrés en direct par la mer, la pêche pratiquée au cours de
plongées sous-marines aussi savoureuses que la manne des fonds si riches
de poissons et d'algues. Une nourriture de rois que les rois eux même,
aussi fortunés soient-ils, ne peuvent pas se payer. La terre elle-même,
en son sein, leur prodigue nombre de légumes à la pousse spontanée par
le miracle de leurs pensées. Et les oiseaux leur accordent aussi des œufs
et les chèvres de Monsieur Seguin, leur donnent du lait. -
C'est comme chez nous, dit
Tnerol. -
Mieux que chez nous, répond
Lecram, parce que chez nous, le progrès a tout gâché. -
Oui, y a plus rien qui soit
naturel. Ils
explorent île au plus profond de la foret, partout, allant en tous sens,
à la recherche des habitants. Mais ils n'en trouvent pas. L'ile est déserte.
Sans doute n'y a-t-il jamais eu d'êtres humains en ce lieu paradisiaque.
Et ce manque d'hommes, de femmes, d'enfants, les trouble. Certes,
sur leur bateau, ils ont quelque peu fui la foule mais ils n'ont pas,
jusqu'alors, connu une telle situation. Heureux certes, ils languissent
parfois de leurs semblables. Et leurs pensées si fécondes ne parviennent
pas à donner corps, cœur, esprit à leurs visions mentales d'autrui. -
Y a un os ! dit Tnerol. -
Ben non, ni os ni chair… -
On matérialise beaucoup de
trucs avec nos pensées mais là, bernique. - Peut-être que l'on n'est pas assez concentrés sur nos désirs précise Lecram. -
Peut-être aussi qu'on n'a
pas vraiment envie de compagnons. S'il y avait des habitants je te dis pas
la galère ! Comme chez nous, quoi ! -
Mais dis donc, y en a dans ta
petite matière grise ! A
la seconde même, soudain le rocher qui sert d'ancrage au bateau coiffe
une casquette sur son énorme tête, s'éveille de gros yeux, enfle démesurément
sa stature de colosse, développe des jambes longues et musclées et animé
par le vent du large, se met en mouvement. Et il prend place dans le
bateau qui, à une vitesse vertigineuse, mille fois, cent mille fois plus
rapide que la vitesse du son, disparaît au bout de l'horizon marin. -
Fais gaffe ! s'écrie Tnerol,
il revient sur nous à toute allure. Un
éclair d'une intense luminosité, né des pensées de Lecram bien secondé
pat Tnerol, frappe et désintègre le géant de pierre. Ainsi meurt le
dernier homme agressif de l'île. Et
sur la surface des eaux de la mer en lettres d'or, pour l'Eternité,
brille le nom mystérieux mais si cher aux deux amis : PETAOUCHNOCK… Extrait de : Le soleil des récréations - Edition du Petit Véhicule |